Ce que le confinement pourrait apporter à la profession d’avocat

Mai 4, 2020 | Coach Avocat

Nous venons de vivre plusieurs semaines de confinement qui, au-delà de la complexité d’apprendre à travailler différemment, nous ont amenés à faire un vrai travail d’introspection, à prendre du recul et à réfléchir sur soi, sur notre façon de vivre, de travailler et bien plus. Nous avons vécu ce que nous ne pouvions pas imaginer même dans le pire des scénarios de crise, touchant à notre partie la plus sensible, notre santé et notre équilibre émotionnel. Et pour les avocats ? Retour d’expérience d’un coach sur ce que le confinement pourrait apporter à la profession d’avocat.

  

La majeure partie des cabinets d’avocats a dû fermer ses portes et mettre en place au pied levé le travail à distance pour l’ensemble de ses équipes. Nombreux étaient auparavant les associés réfractaires au télétravail pour de nombreuses raisons et, une vaste majorité ne disposait pas de l’organisation permettant d’y parvenir tant du point de vue opérationnel que managérial. La contrainte du confinement a forcé la profession à accélérer la digitalisation du travail mais également à s’adapter à une nouvelle façon de manager.

 

Comme me l’ont rapporté les clients que j’accompagnais durant cette période de confinement, l’exercice du travail a été rendu compliqué par des interruptions plus fréquentes qu’au bureau, notamment avec la nécessité de gérer en même temps la vie familiale et autres tâches domestiques, ce qui a rajouté une nouvelle pression mentale.

 

Comme pour nombre de professionnels et d’entrepreneurs, la crise sanitaire que nous vivons depuis début mars va amorcer un certain nombre de changements dans l’exercice de la pratique des avocats. Au moment où cet article est rédigé, personne ne voit le bout du tunnel, mais je vais essayer de projeter ma vision pour la profession d’avocat, au risque que certaines prédictions s’avèrent dépassées au moment de sa parution, du fait notamment de la difficulté à appréhender l’impact de la forte récession économique qui va suivre.

 

Prise en compte de la santé en premier lieu

Quelle que soit la taille du cabinet d’avocats, la pandémie de covid-19 a fait entrer la santé comme première obligation de moyens à mettre en place pour soi, ses collaborateurs et associés. Ces derniers se devront d’instaurer la stratégie de prévention et de surveillance de l’état de santé des équipes du cabinet : règles de distanciation sociale, communication interne d’un règlement intérieur mis à jour avec les règles d’hygiène adéquates, procédure d’isolement, politique de congé maladie adaptée, tests, masques, gel hydroalcoolique, etc. Les personnes travaillant au sein du cabinet doivent être rassurées sur les conditions, devenues une priorité, mises en place pour préserver leur santé.

Là où un mal-être trop fréquent existait par rapport à d’autres professions, à cause notamment d’un réel déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et alors que la qualité de vie au travail n’était pas encore devenue un sujet, la santé et le bien-être se doivent d’être dorénavant pris en compte. Prendre au sérieux la réduction du stress, le rythme de travail, une bonne nutrition, la pratique d’une activité physique et l’importance d’un bon sommeil, sont des moyens faciles et à la disposition de tous, qui permettent d’améliorer les performances humaines et de fédérer un esprit de cohésion gagnant sur le long terme.

Ceci nécessitera de repenser l’organisation du travail, avec une meilleure utilisation du digital et de l’intelligence artificielle pour mieux répartir la charge de travail au sein du cabinet.

 

Soutien post traumatique

Une autre dimension à prendre en compte, qui concernera certaines personnes, tient au fait que certains auront été contaminés ou auront eu des membres de leur famille contaminées, et certains auront même perdu des proches sans avoir pu en faire le deuil comme en temps normal. Une réelle présence et capacité d’écoute va s’avérer nécessaire pour faciliter la reprise du travail de ces personnes.

De même, tout le monde n’a pas la même capacité à vivre confiné pendant un temps aussi long, à naviguer dans ce long moment de brouillard plein d’incertitude et de peurs. La capacité de rebond de certains risque de nécessiter un soutien. Il sera important d’être à l’écoute des collaborateurs et associés, afin de leur fournir le soutien et les conseils dont ils pourraient avoir besoin. Dans ce contexte particulier, ils devront se sentir encouragés à partager leurs ressentis avec une présence sincère et bienveillante.

 

Organisation du cabinet

Comme de nombreux autres acteurs économiques, la majorité des cabinets d’avocats s’est retrouvée dans l’obligation d’improviser une organisation ad hoc pour poursuivre l’exercice de sa pratique hors les murs. Fort de cette expérience, il paraît maintenant nécessaire de prendre le temps d’évaluer les forces et les faiblesses de l’organisation du cabinet, telles qu’elles sont ressorties au cours de ces semaines, de tirer parti de ces leçons, afin de corriger et par là même de renforcer la capacité de résilience du cabinet.

Afin de se prémunir d’un autre cas de force majeure, il devient dorénavant nécessaire de rédiger un plan de continuité d’activité, qui abordera notamment les points suivant[Source ANDRH] :

1.Identification des risques (mouvement social, crise sanitaire, événements météorologiques, etc.) ;

2. Identification des postes ou services clés impactés ;

3. Identification des conséquences de ces risques (absence du personnel, destruction des biens mobiliers et immobiliers, ralentissement de l’activité des interlocuteurs externes à l’entreprise) ;

4. Définition de la stratégie à adopter (mesures à mettre en œuvre pour réduire l’impact du risque sur l’activité et moyens permettant leur déploiement).

Il va de soi que les moyens préconisés seront à tester si besoin.

 

Digitalisation du travail

L’évidence est apparue avec la durée de la période de confinement : la digitalisation du travail est dorénavant la seule issue possible au risque de disparaître lors d’une nouvelle épidémie. La preuve par l’exemple provoquée par un impératif sanitaire, nous ne pouvons que reconnaître qu’une partie non négligeable du travail peut se faire en télétravail et que les freins qui existaient jusqu’alors ont sautés.

Nombreux sont les avocats qui vont sortir de cette période avec une nouvelle façon d’appréhender leur travail, l’envie de pouvoir travailler plus fréquemment chez soi ou dans sa résidence secondaire, pour une meilleure qualité de vie pour soi et pour ses collaborateurs.

Poursuivre le mouvement amorcé en temps de crise va nécessiter d’accélérer la digitalisation des processus de travail, la numérisation des dossiers, l’adoption de plateforme sur le cloud et d’applications pour travailler en équipe. Ceci nécessitera de mettre en place des procédures solides de protection des données et documents, de changement régulier des mots de passe et autres.

Bien entendu, démocratiser le télétravail nécessitera de renforcer la formation et l’équipement de ceux qui pourront télétravailler. Ceci se fera en révisant son style de management mais également sa façon de recruter.

Nous pouvons même y voir une opportunité pour les cabinets qui sont prêts à faire bouger les lignes, car ils peuvent ainsi envisager de réduire la surface de leurs locaux avec à la clé une réduction des coûts locatifs en instaurant plus de flexibilité. Regrouper dans un bureau ceux qui pourraient et choisiraient de travailler plus souvent chez eux, avec des visites régulières au cabinet, notamment pour rencontrer des clients et garder le lien avec le reste de l’équipe. Bien entendu ces changements potentiels seront à mener avec précaution pour un cabinet d’avocats déjà bien établi avec une clientèle plutôt traditionnelle. Interagir avec des avocats à distance peut être une évolution difficile pour certains clients, surtout après des années de service.

En parallèle, des nouveaux types de cabinets d’avocats presque totalement virtuels pourraient se créer avec des avocats qui travailleraient à distance dans tout le pays. Ces cabinets pourraient cibler des clients plus jeunes ou tout au moins très à l’aise avec les nouvelles technologies et autres méthodes agiles, qui ne seraient pas déstabilisés par cette nouvelle approche de la pratique du droit.

 

Évolution du style de management

Le travail mobile et agile va se développer et s’affiner même dans les cabinets d’avocats. La gestion du changement apparaîtra comme un processus essentiel pour garder les collaborateurs alignés et motivés.

Afin de permettre aux collaborateurs d’évoluer, il va être nécessaire de revoir la façon de les former, de les mentorer. Pour cela, il faudra oublier le micro-management et faire confiance aux collaborateurs, en fixant des objectifs clairement définis avec des critères de mesure, puis avec le soutien de rendez-vous réguliers en visioconférence afin de recueillir du feedback et de partager les connaissances.

Pour réussir ce changement, il faudra prendre en compte les compétences comportementales en premier lieu dans le choix des personnes éligibles au télétravail, au niveau de leur capacité d’autonomie, de sens de l’initiative, de responsabilisation et de maturité émotionnelle. Ces soft skills seront également des critères essentiels lors de l’embauche de nouveaux collaborateurs. Cela pourra conduire à embaucher des collaborateurs qui ne travailleraient plus systématiquement au sein du cabinet, voire même qui vivraient en région avec comme avantage une probable meilleure implication puisqu’ils seraient plus motivés et sensés bénéficier d’une meilleure qualité de vie, qu’à Paris par exemple.

Il ne faut toutefois pas occulter la cohésion d’équipe. Il faudra pour cela veiller à maintenir les liens, avec des objectifs communs et un sens du service client partagé par tous, sans oublier des réunions communes régulières au sein du cabinet.

 

Gestion à court et à moyen terme

À court terme, les cabinets vont devoir se consacrer aux difficultés immédiates que la crise du covid-19 a engendré au sein de leur organisation, mais également auprès de leurs clients et prestataires. Ils devront réévaluer leurs projections budgétaires pour l’année 2020, trouver les solutions en termes de gestion de trésorerie pour faire face aux charges à régler dans les mois à venir.

Plus que jamais, il sera important de rester à l’écoute des clients, de leur demander comment leur venir en aide, de leur offrir des conseils. En gardant le contact avec ses clients, l’avocat saisit l’opportunité de renforcer les liens et de récupérer des nouveaux dossiers une fois cette crise surmontée.

Certains avocats vont bénéficier d’un surcroît d’activité engendré par les conséquences de cette crise sanitaire, notamment en droit social, en restructuration, en droit de la famille, droit de la santé, etc. D’autres subiront une baisse d’activité s’ils dépendent plus particulièrement des secteurs fortement impactés pour un certain temps, comme le tourisme, l’hôtellerie, le voyage, l’évènementiel, les compétitions sportives, le transport aérien, etc.

Mais au-delà du court terme, qui est certes la priorité, il ne faut pas perdre de vue le moyen terme. En effet, cette crise va faire émerger des opportunités, avec une évolution de la loi prenant en compte les leçons tirées à plusieurs niveaux. Parmi les besoins en conseil qui émergeront, nous pouvons envisager notamment ceux qui ont trait à la santé au travail, à une diversification de la chaine d’approvisionnement avec certaines relocalisations en France et en Europe, à un renforcement des normes environnementales que nous pouvons espérer, à l’éducation en ligne, puis aux secteurs du big data et de l’intelligence artificielle qui vont accélérer leur développement. Sans oublier les secteurs du spectacle, des salons et congrès, des compétitions sportives qui devront faire preuve de créativité pour développer des offres en ligne pour parer à leur probable impossibilité de maintenir des évènements en présentiel pendant probablement plusieurs mois.

 

Incarner des valeurs humaines et sociétales

À la sortie de cette crise sanitaire, les individus auront eu le temps de réfléchir à leurs valeurs individuelles et ils seront plus nombreux en quête de sens. Un autre rapport au temps pourrait émerger après cette expérience, une recherche de l’essentiel.

Jusqu’alors, la profession d’avocat était loin de bénéficier d’une réelle qualité de vie au travail. Heureux seront ceux qui travailleront dans des cabinets où l’équilibre de vie et la bienveillance seront des valeurs réellement mises en œuvre. Ce choix s’avérera gagnant sur le long terme tant en termes de rétention que de performance dans le travail.

Il faut espérer que les avocats seront actifs pour encourager les entreprises à intégrer une vraie dimension sociétale, et non plus les laisser privilégier des initiatives de réduction des coûts et d’optimisation fiscale avec délocalisation. Ce pourrait être un choix stratégique majeur et différenciant de s’aligner sur des valeurs sociétales au niveau d’un cabinet et d’accompagner des clients en phase avec ces valeurs. Il est possible de rêver.

Au titre des valeurs, la solidarité pourrait être celle, après avoir pris beaucoup d’importance à tous les niveaux durant cette pandémie, qui gagnerait à se développer tant au sein du cabinet, qu’avec les clients et entre confrères.

 

 

 La crise sanitaire que nous vivons et la grave récession qu’elle va entraîner vont nous amener à relever de nombreux défis. Si les avocats persévèrent en étant orientés solutions, la profession bénéficiera à la clé de plus de flexibilité, d’autonomie, de la possibilité de travailler dans un meilleur environnement, d’une productivité plus élevée, d’une bienveillance accrue et peut-être aussi de plus de temps pour une vie en dehors du travail.

 

À titre personnel, j’ose espérer que nous allons enfin majoritairement prendre en compte une plus grande dimension sociétale et environnementale dans nos décisions tant au niveau personnel que professionnel après cette épreuve. Hélas, l’être humain peut parfois avoir la mémoire courte et à défaut de changer significativement, je ne serais pas surpris que l’univers ou la vie, nous fasse vivre à nouveau une nouvelle épreuve sanitaire ou environnementale pour que nous comprenions enfin la leçon.